Les requérants étaient au moment des faits, respectivement le directeur du magazine Le Point et deux journalistes de cet hebdomadaire. Le 27 février 2014, Le Point publia un numéro de son magazine comportant un article de 8 pages qui mettait en cause les liens présumés de M. Copé, à l’époque président de l’UMP et député, avec les dirigeants de la société Bygmalion, attributaire de prestations évènementielles dans le cadre de la campagne présidentielle du candidat UMP de 2012, M. Nicolas Sarkozy. Le 4 mars 2014, M. Copé déposa plainte avec constitution de partie civile pour diffamation publique.
La Cour relève qu’au moment de la publication de l’article litigieux, M. Copé était président du parti politique qui a soutenu les gouvernements nommés par M. Nicolas Sarkozy entre 2007 et 2012, et député à l’Assemblée nationale. En raison de sa qualité d’homme politique, il s’exposait inévitablement et sciemment à un contrôle attentif du public et il devait être prêt à accepter les critiques inhérentes à ses fonctions publiques. Les propos litigieux relataient son comportement au moment de la campagne présidentielle du candidat M. Nicolas Sarkozy, et sa gestion des dépenses de l’UMP avant les élections présidentielles de 2012. La Cour est d’avis, ainsi que l’ont relevé les juridictions internes, qu’eu égard à la fonction politique de M. Copé, d’une part, et à la nature des questions abordées dans l’article litigieux, relatives au financement des partis politiques et des campagnes électorales, d’autre part, ce dernier relevait d’un débat d’intérêt général pour lequel les restrictions à la liberté d’expression n’ont normalement pas leur place.
Concernant la nature des propos litigieux et leur base factuelle, la Cour relève, en premier lieu, que la Cour de cassation a considéré que la circonstance qu’un article de presse traite d’un sujet d’intérêt général concernant une personnalité politique ne dispensait pas les journalistes de fonder leurs imputations à l’encontre de cette personnalité sur une base factuelle suffisante, en rapport avec la gravité des accusations portées, et de faire preuve de prudence et de mesure dans l’expression, ce dernier critère ne s’appréciant moins strictement que lorsque les deux autres sont réunis.
À cet égard, d’une part, la Cour constate que les juges du fond ont estimé que les propos litigieux comportaient l’imputation de faits précis devant se prêter à la démonstration de leur exactitude. Le tribunal correctionnel a considéré que les requérants n’avaient pas apporté d’éléments de nature à accréditer les imputations formulées dans la publication litigieuse à l’égard de M. Copé « d’avoir organisé, au moyen de la société Bygmalion, pour servir ses intérêts personnels le vol et la ruine du parti ». La cour d’appel a jugé que l’article litigieux, lu dans sa globalité, lui reprochait « d’avoir ruiné son propre parti à son profit politique exclusif, en contrepartie de l’enrichissement d’une structure économique dont l’activité lui était pour une large part dédiée » et d’avoir « toléré sinon encouragé des pratiques de surfacturation des prestations au profit tant de l’UMP que du groupe parlementaire de ce parti ». La Cour relève d’autre part, que les juges du fond ont refusé d’admettre les requérants au bénéfice de la bonne foi, en l’absence de base factuelle suffisante pour prouver ces imputations. Le tribunal correctionnel a relevé que certains éléments de l’enquête des requérants étaient sérieux tout en considérant qu’ils n’étaient pas suffisants pour corroborer les accusations de nature pénale et morale formulées à l’encontre de M. Copé sans prudence ni réserve. La cour d’appel a considéré que les pièces apportées par les requérants à l’appui de leurs allégations, qu’elles soient relatives à la comparaison des comptes de campagne entre les candidats à l’élection présidentielle, aux finances dégradées de l’UMP et aux liens entre les protagonistes ne permettaient pas d’appuyer la thèse d’une implication personnelle de l’intéressé dans l’état des finances de l’UMP. Elle en a déduit qu’ils n’avaient pas mené d’enquête sérieuse, et de ce fait, souligné leur manque de prudence dans l’expression.
S’agissant, en deuxième lieu, du point de savoir si les imputations précitées concernaient des faits ou des jugements de valeur, la Cour considère, ainsi que les juridictions internes, que les reproches adressés à M. Copé se présentaient sous la forme d’une articulation précise d’un fait, relatif à son implication personnelle dans l’enrichissement de la société Bygmalion, « conçue par deux proches (…) pour le servir », qu’il « irrigu[ait] en contrat », rendue possible grâce à des malversations, des « prestations facturées hors appels d’offres à l’UMP », au détriment de l’UMP soit des actes pouvant entrer sous la qualification d’abus de confiance et donner lieu à des sanctions pénales.
Eu égard au caractère factuel des propos litigieux et à la gravité des accusations qu’ils formulaient, indubitablement préjudiciables à la réputation des personnes mises en cause et compte tenu de la minutie avec laquelle les juridictions internes ont examiné chacun des éléments de preuve fournis par les requérants pour établir l’existence d’une base factuelle suffisante ainsi que de leur conclusion que tel n’était pas le cas, la Cour considère qu’il n’y a pas lieu de se départir de leur appréciation. Elle relève également que si une information judiciaire a bien été ouverte à propos de la mise en place d’un système de surfacturations ou de fausses factures au sein de l’UMP, il a été rappelé par la cour d’appel que la question du dépassement des dépenses de campagne de l’UMP et d’éventuelles fausses factures relatives à celui-ci n’avait été mise à jour que postérieurement à l’article litigieux. Il découle de l’ensemble de leurs décisions, qui reposent sur des motifs pertinents et suffisants, que les juridictions internes ont considéré que les requérants ne pouvaient raisonnablement pas s’appuyer, à l’époque de la publication litigieuse, sur les nombreuses pièces et documents à leur disposition établissant les liens de M. Copé avec les dirigeants de la société Bygmalion ainsi que l’état des finances de l’UMP pour étayer l’accusation portée à l’encontre de l’intéressé d’être personnellement et directement à l’origine de graves malversations ou manipulations au détriment de l’UMP. Compte tenu de la gravité de cette accusation, il a pu raisonnablement apparaître aux yeux des juridictions internes que les requérants n’avaient pas fait preuve de la diligence requise en ce qui concerne la vérification de l’exactitude matérielle des faits allégués et que l’article litigieux présentant comme « L’affaire Copé » les informations et éléments révélés procédait d’un choix éditorial délibéré dépourvu de base factuelle suffisante, et cette absence de prudence et de mesure dans l’expression de certains passages de l’article litigieux, en particulier celle des titres et intertitres, a conduit à refuser d’admettre les requérants au bénéfice de la bonne foi. Elle prend note de la démarche retenue par la Cour de cassation, s’agissant du fait justificatif de bonne foi. Celle-ci recherche d’abord si les faits dénoncés ont été publiés dans un but légitime d’information et s’ils s’appuient sur une enquête sérieuse, ce qui correspond, dans la jurisprudence de la Cour, aux notions de contribution à un débat d’intérêt général et à l’existence d’une base factuelle suffisante, avant de s’attacher, lorsque ces deux éléments sont réunis, aux critères de prudence et d’absence d’animosité personnelle. En l’espèce, la Cour n’identifie aucune raison sérieuse de remettre en cause l’appréciation portée par la cour d’appel selon laquelle les passages litigieux de l’article manquaient de mesure.
Concernant enfin la sanction, la Cour relève que les requérants ont été condamnés à payer des dommages-intérêts symboliques et des amendes d’un montant proportionné.
Par ailleurs, s’agissant de la mesure de publication du communiqué judiciaire ordonnée à titre de réparation civile complémentaire, la Cour considère que les requérants ne démontrent pas en quoi l’ordre de publier le communiqué dans les modalités précitées a effectivement pu avoir un effet dissuasif sur la manière dont Le Point a exercé et exerce encore son droit à la liberté d’expression.
Au vu des faibles montants des amendes et du caractère non excessivement restrictif de la liberté d’expression de la publication d’un communiqué judiciaire dans les circonstances de l’espèce, la Cour considère que les peines infligées aux requérants n’étaient pas disproportionnées au but légitime poursuivi.